Mon œuvre comporte de nombreuses allusions au corps de la femme en tant qu’objet déshonoré, ainsi qu’aux émotions féminines qui sont discréditées. En réaction à mon éducation catholique, marquée par les interdits et qui mettait extrêmement l’accent sur les péchés du corps féminin, j’ai tendance à conférer une dimension sexuelle aux objets courants, aux matériaux, aux textures, aux motifs et aux symboles religieux, en vue de redonner sa légitimité à l’image de la femme.
Ainsi, l’une de mes démarches consiste par exemple à utiliser du fil métallique, simple composant industriel que je préfère aux matériaux plus nobles. Il apparaît fréquemment et depuis longtemps dans mon œuvre, sous des formes diverses telles que le fil métallique enrobé, le fil magnétique, le fil barbelé, la laine d’acier, le tampon à récurer, le grillage et le treillis. Dans mes sculptures et mes assemblages, j’ai notamment associé les fils métalliques aux cheveux, symboles de la vitalité, aux poils du pubis, symboles de la sexualité, au sang, symbole du sacrifice, aux secrets ou aux interdits, en les enfermant respectivement dans des bocaux ou des récipients, et aux enveloppes de fil, qui, en recouvrant les objets, servent à les camoufler ou à les rendre précieux. Je développe le potentiel du fil métallique en matière de texture et de motif par l’intermédiaire de configurations et manipulations qui font référence aux œuvres traditionnelles des femmes telles que le tricot, le tissage ou le tressage.
Depuis peu, j’explore, dans mon œuvre, l’aspect bidimensionnel du fil métallique au sein de dessins à l’encre, de balayages optiques et d’images de seconde génération. Je continue d’être préoccupée par l’idée que la société et la religion imposent à la femme de servir, de se parer et de se sacrifier. Dans ce cadre, j’ai recours de façon récurrente à une silhouette de robe de fillette, juxtaposée à un motif linéaire et textuel. Au moyen des limites que lui confèrent ses lignes/fils et son texte en tant qu’histoire personnelle, cette robe désincarnée fait allusion à l’idée universelle selon laquelle la femme en tant qu’individu manque de valeur et de droits. Les images donnent l’apparence de textes de journal intime et établissent un dialogue entre le sacré et le profane, le privé et le public, en vue de valoriser l’imagerie et les émotions de la femme.
Clarissa Schmidt Inglis, 2004
Au travers de ma pratique ces trente dernières années, je me suis penchée sur l’étude de l’identité féminine au sein d’un contexte patriarcal, en particulier sous l’influence répressive de l’Église catholique romane dans laquelle j’ai été élevée. En outre, l’impact des multiples déracinements et déménagements auxquels j’ai été soumise pendant la première moitié de ma vie m’a conduite à examiner la formation de l’identité et l’expérience du sentiment de perte et de déplacement chez les immigrants. Si ces questions sont restées au cœur de mon travail tout au long de ces années, les médias avec lesquels j’ai travaillé ont évolué de la 3D, principalement, aux multimédias, avec les travaux sur papier et la photographie numérique dans plusieurs séries récentes. Au cours des vingt premières années de ma carrière, j’ai réalisé des séries d’œuvres en acier ainsi que plusieurs installations multimédias à l’échelle d’une pièce, parmi lesquelles des paysages sonores. Depuis 1999 toutefois, j’ai élaboré un ensemble de travaux sur papier à partir de médias variés. Guidée par ma compréhension de la condition féminine et des manifestations de l’injustice dans un contexte patriarcal, j’ai choisi de donner pour base à ma pratique les questions de conditionnement social et sexuel des femmes.
Le corps actuel de mon travail s’appuie sur d’importantes archives personnelles et sur la technologie numérique pour créer des images construites autoréférentielles. La série de collages numériques appelée Identities (2007) est imprégnée de mes déplacements et de mes séjours dans divers pays ; elle intègre de vieilles photos de passeport et d’identité au texte de litanies catholiques que je chantais dans mon enfance. Les objets, dans les éléments d’Identities,servent de métaphores des fonctions que j’ai occupées dans différentes villes et pays telles qu’étudiante en musique, couturière, gardienne, secrétaire, ménagère, étudiante en arts plastiques et pour finir artiste. Ces références iconiques visuelles sont étayées par un texte liturgique en référence à l’observance continue du dogme catholique dans ma jeunesse, la seule constante ayant prévalu dans tous les pays et cultures au sein desquels j’ai vécu.
Clarissa Schmidt Inglis, 2008